Dans la farine
Lucie Vérot Solaure
1er janvier 1968. Trois femmes, dans la réserve d’une pâtisserie, sont en train de fouiller dans des cartons aux étiquettes appétissantes : fèves, bigarreaux, raisins blonds… Ce qu’elles cherchent, ce sont des diaphragmes et du spermicide, arrivés clandestinement d’Angleterre. La pâtissière a pris l’habitude de les cacher dans son arrière-boutique, qui jouxte le local du Planning Familial, pour qu’ils ne soient pas découverts en cas de descente de police. Mais en ce tout début 1968, c’est fini, la clandestinité : la loi Neuwirth vient de passer, légalisant la contraception. Y croire ? Ne pas y croire ? Le Planning Familial peut-il désormais sans risque fournir des contraceptifs, ou bien n’est-ce qu’un écran de fumée ?
Do It Yourself
Mariette Navarro
En 1972 arrive en France une méthode d’avortement révolutionnaire : la méthode Karman. Grâce à elle, il est désormais possible pour des femmes d’avorter non seulement sans risquer leur vie, mais également en étant accompagnées et partie prenante. C’est un avortement avec la méthode Karman qui se joue là, entre cette jeune femme qui découvre qu’elle a un corps et les praticien·nes qui le lui font découvrir, qui l’arpentent avec elle comme une terre inconnue.
La méthode Karman ou comment connaître son corps, connaître les gestes, pouvoir le cas échéant les pratiquer à son tour sur d’autres, se débrouiller avec les moyens du bord, un tube en plastique, un fer à repasser, une nappe. Savoir faire soi-même, avec les moyens du bord et ce qu’on a sous la main. Gagner cette liberté-là.
La vie de nos ventres
Clara-Luce Pueyo
Fin d’été 1973. Une permanence bondée, dans laquelle affluent des femmes venues avec l’espérance qu’on les aide à avorter. Deux groupes s’organisent : celles qui vont pouvoir être prises en charge sur place, celles qui vont devoir partir avorter en Angleterre. Ce qui est encore illégal en France ne l’est plus en Angleterre depuis 1968, et des convois entiers de femmes partent avorter dans les cliniques londoniennes.
Parmi elles deux jeunes femmes, Annie et Brigitte. L’une a déjà trois enfants et ne peut imaginer en avoir un de plus, l’autre est étudiante et ne veut pas en avoir. Elles ne se connaissent pas. Elles sont juste ce soir-là dans ce même endroit, avec la même inquiétude qui les tenaille et le même espoir qui les anime : que la loi change.
Humainoiseaux
MarDi (Marie Dilasser)
Un jeudi, à 17h, réunion hebdomadaire. Mais pour elle, c’est la première fois. Dans la « vraie vie », elle s’appelle Bernadette. Mais là, elle est ailleurs. Elle est dans « l’autre monde », celui où les femmes aiment les femmes, celui où elles viennent pour en parler, pour se rassurer, se soutenir, et pour lutter. Et dans ce monde, elle s’appelle Bergamote.
Lors de cette soirée, Bergamote rencontre Humainoiseau, celle qui porte l’histoire de ce groupe, celle aussi qui va mettre en mot ce qui lui arrive et que toutes ici ont connu : le rejet de la société, la solitude, la peur, la violence, l’incompréhension, mais aussi la possibilité de la beauté, de la sororité et de la lutte.
Noire, moi je dis Noire
Gerty Dambury
Mai 1976, Paris. Elles sont trois. Elles viennent de Guadeloupe, du Congo, du Sénégal. Elles sont étudiantes à Jussieu, elles militent dans les mouvements féministes, elles parlent entre elles. De cette femme, Maria Kala Lobé, qui vient d’arriver du Cameroun et qui défend avec tant de force la cause des femmes noires. De cette autre, Jacqueline Manicom, une sage-femme antillaise qui a milité au Planning Familial, a témoigné au procès de Bobigny, et qui vient de se suicider, « seule, fatiguée, consciente d’être Noire ». À travers ces jeunes militantes s’énoncent les prémisses de la création de la Coordination des femmes noires. Ce moment où tout est possible, où tout est frémissant et joyeux, où l’avenir est une promesse.
1978 - Un week-end à la campagne
Catherine Benhamou
Un professeur d’histoire, la quarantaine, invite toute sa classe de première à passer avec lui et ses amis un week-end dans sa maison de campagne, fort de la fascination que peut exercer sur des jeunes femmes le fait d’avoir « fait 68 ». Une soirée de fête où les discussions vont bon train, où l’on parle de mai 68, mais aussi de ce procès qui commence dans un mois et dont Gisèle Halimi veut faire le « procès du viol ». Et puis vient la nuit, le moment où chacune sombre dans le sommeil, le moment où il n’y a plus de mots.
Un texte choral pour trois actrices.
Graffiti
Jessica Roumeur
Mai 1974, à Brest. La librairie Graffiti a ouvert ses portes il y a quelques mois. C’est une librairie militante, où l’on peut trouver de tout : les grands classiques comme les derniers ouvrages sur les luttes féministes, les combats politiques, les mouvements homosexuels, les nouveaux philosophes. Il est 18h30, et c’est Rose-Marie qui tient la boutique. Seule ? plus ou moins. Wittig, Solanas, Freud, Lénine, Beauvoir, Field, Ernaux lui tiennent compagnie : les livres lui parlent, se parlent, s’engueulent même, tandis que Rose-Marie raconte son histoire, entre la librairie et le militantisme au MLAC, les combats politiques et les avortements clandestins.
LIP en luttes
Les femmes et les arabes
Marine Bachelot Nguyen
Juin 1976 à l’usine d’horlogerie LIP à Besançon, une usine restée célèbre pour la grève de plusieurs années qu’y ont mené les ouvrières et ouvriers, afin d’en empêcher la fermeture.
Devant les grilles de l’usine, un jour de portes ouvertes, Monique, Fatima et Annie tiennent le stand du groupe-femmes de LIP, et discutent de la difficulté à faire entendre la parole des ouvrières dans ce contexte de grève, et de l’impossibilité à mener à part égal les luttes en cours.
S’appuyant sur le documentaire Monique, Lip I qu’avait réalisé en 1973 Carole Roussopoulos, le texte développe la question du vécu des femmes ouvrières, mais aussi celle de la tension intersectionnelle dans laquelle se trouve Fatima, ouvrière algérienne. Jusqu’à quel point les propos du groupe-femmes de LIP sont les siens ? À quel moment la sororité est-elle mise en défaut ?